mardi 14 juin 2016

14 juin 2016, Paris, Tchad après l'élection présidentielle ?

A la conférence-débat, « Quel avenir pour le Tchad après l'élection présidentielle ? » organisée par la Fondation Gabriel Péri, au siège du PCF, intervenaient ce soir, de gauche à droite, Marielle Debos, chercheuse et auteure du livre ‘Le métier des armes au Tchad, Le gouvernement de l'entre-guerres’, Makaila Nguebla, le journaliste, blogueur, et Bruno Angsthelm, chargé de mission Afrique au CCFD-Terre solidaire. Je suis arrivé en retard et n’ai pas pu écouter le célèbre activiste tchadien qui a fait un bilan de l’actualité suite au premier tour de la présidentielle du 10 avril et au coup d’Etat électoral. Marielle Debos finissait en concluant sur le lien entre la lutte syndicale en France et les mouvements de contestation au Tchad, sous-estimé par le pouvoir ou la presse.
Bruno Angsthelm, s’appuyant sur l’étude de Roland Marshall d’avril 2015, a souligné la baisse de soutien de la population à Idriss Déby entre 2011 et 2016. Selon lui, en 2011, après le conflit de 2006-2008 et la défaite des rebelles, une partie de la population se satisfaisait encore de Déby. Depuis, le clan au pouvoir s’est isolé, et des satellites se sont marginalisés. Il remarque que le « système féodal est maintenant réduit et sans base sociale », et que la « jeunesse musulmane manifeste », ou que « la société civile musulmane s’organise ».
La fin de son discours sur les élections me fait comprendre qu’il n’est pas un spécialiste des élections en Afrique. Le chargé de mission Afrique du CCFD indique avoir publié une tribune dans La Croix (le 8 avril), et en parle comme s’il avait recommandé à l’opposition de boycotter, parce que l’ «agitation » ne « servait à rien ». C’est un point de vue trop simple, et ce n’est pas le rôle d’un membre d’une ONG française de dire à l’opposition tchadienne ce qu’elle doit faire. Le 11 mai, la coalition animée par le Secours catholique « Tournons La Page » a publié sur le coup d’état électoral d’Idriss Déby un communiqué avec un point de vue plus adapté, pour « soutenir les démocrates tchadiens dans leurs revendications en faveur de l’instauration de processus électoraux crédibles et transparents à tous les niveaux – fichier électoral, CENI, surveillance des bureaux de vote, rédaction des procès-verbaux, compilation des résultats à partir des procès-verbaux – respectueux des principes démocratiques. »
Ce n’est pas parce que les mascarades électorales sont prévisibles en dictatures depuis 1990 et qu’il n’y a eu que deux ou 3 présidentielles correctes en dictature (Congo-B 1992 suivi d’un retour de Denis Sassou Nguesso en 1997, Ghana 2000, Kenya 2002), que les oppositions ne doivent pas participer. Les stratégies de boycott sont également très difficiles et problématiques, car, dans le boycott, la culture démocratique ne progresse pas, l’opposition ne se réorganise pas, le lien entre population et leaders de l’opposition ne se construit pas au travers d’une expérience, le processus électoral ne s’améliore pas techniquement. En conclusion du débat, Bruno Angsthelm distinguera « une alternance par les urnes, d’une d’alternance par le bas », parlant de « société en paix dans son imaginaire », sans avoir le temps de bien expliciter ces propos.
Le 30 mai 2016, dans une conférence de presse, le leader de l’opposition Saleh Kebzabo était venu rendre compte du processus électoral en présentant les choses dans leur complexité. Ce soir, dans la salle était également présent Mahamat-Ahmad Alhabo, le candidat du Parti pour la Liberté et le Développement (PLD) qui fait parti des 6 candidats de l’opposition unie dénonçant l’inversion des résultats du premier tour de la présidentielle. Il décrit le processus électoral de la même manière que Saleh Kebzabo, en parlant de la biométrie.  Il indique en plus que le 22 avril, après la communication des résultats fictifs par la CENI, quand les forces de l’ordre ont tiré massivement toute la nuit pour dissuader la contestation, il y a eu des morts et des blessés. A la fin de la conférence, il me précise, qu’une soixantaine de blessés sont arrivés dans un hôpital de Ndjamena, qu’il a eu connaissance d’au moins 2 mort-e-s, et que ce sont des balles perdues qui ont provoqué morts et blessés. Il conclut que Déby, non élu, « à 10% », sera dans l’impossibilité de gouverner, et reparle d’un Gouvernement de salut public. Le célèbre député Yorongar arrive à la fin du débat mais ne prend pas la parole.
Le débat est ensuite très décevant. Les critiques sur la politique française démarrent sans nuances. Les politico-militaires tchadiens sont venus assez nombreux et embrouillent les discours. L’un d’entre eux, dans une brillante tirade classe « l’opposition dans le même bloc qu’Idriss Déby » et prédit « une radicalisation contre la France ». Un autre embraye en exagérant, me semble-t-il, le « sentiment anti-français ». Puis, le débat en arrive à « la logique impériale » et à la « recolonisation déguisée ». Je me demande s’il n’est pas de plus en plus difficile d’organiser un bon débat à Colonel Fabien, et je me souviens que plus on avancera vers la présidentielles de 2017 en France, plus on entendra des discours critiques énervés et simplifiés.
A la sortie, Makaila Nguebla me tend un communiqué du groupe des 6 candidats sur la répression qui continue avec des « arrestations arbitraires et tortures »  de l’Agence Nationale de Sécurité. Le texte « demande à la communauté internationale de cesser d’observer une indifférence coupable dans la situation actuelle qui peut entrainer le Tchad dans une situation de violence ».
Régis Marzin, Paris, 14 juin 2016

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