samedi 12 novembre 2016

12 novembre 2016, Aubervilliers : journée migrations, asile, sans-papiers, communautés, …

La journée organisée par le Service vie associative et relations internationales de la Ville d'Aubervilliers, dans le cadre de la Semaine de Solidarité Internationale (SSI) autour des migrations et du Festival Villes des musiques du monde, s’appelle «Port Refuge». J’y arrive après le repas des Cuistots Migrateurs et le documentaire ‘Bienvenue au Réfugistan’ d’Anne Poiret, pour le débat sur « la situation des réfugiés ». Ce débat regroupe Pierre Henry de l’association France Terre d'asile, Aurélie El Hassak-Marzorati, Emmaüs Solidarité, Sophie Rahal de SOS Méditerranée France, une personne de la revue Cassandre et le modérateur, Carlos Semedo, directeur de la vie associative et des relations internationale de la ville d’Aubervilliers.
SOS Méditerranée est une association qui a décidé d’agir concrètement pour sauver des migrants en affrétant un navire, l’Aquarius. Elle a, entre le 26 février et le 8 novembre, réussi à sauver « 7 967 personnes : 5 240 vies sauvées sur des embarcations en détresse et 2 725 personnes accueillies après transbordement d’un autre navire ». Cela a fait écho à ce que j’ai entendu la veille sur le navire de Médecins sans frontière, lors d’un débat sur l’exposition « Libye : plaque tournante du trafic humain », du photojournaliste Narciso Contreras, qui a enquêté sur les trafics humains des milices libyennes.
Aurélie El Hassak-Marzorati d’Emmaüs Solidarité parle d’un Centre humanitaire de 400 places ouvert à Paris, qui est une victoire dans la bataille sur les campements, obtenu après des pressions sur l’Etat et la Mairie de Paris. Ce centre n’héberge que pendant 15 jours. Elle souhaite que cela se poursuive avec d’autres centres dans l’Est, le Sud, vers Calais, et que l’on, et en « limitant la taille », en faisant un effort sur la « rencontre et le vivre ensemble », en évitant de « faire des villes de migrants ».
Pierre Henry de l’association France Terre d'asile regrette le manque d’échange entre universitaires, membres de la société civile et politiciens, qui amène à des positions « tous contre tous ». Il est inquiet sur le rôle de l’Ue, l’ensemble des Etats européens, parce que « la solidarité n’est pas au rendez-vous », dénonce « les chaînes d’information qui reproduisent la droite extrême », et pense que « la France est malgré tout généreuse » ou que « le relogement des 6000 personnes de Calais aurait dû être fait 2 ans plus tôt ». Il souhaite, puisqu’il y a « 50% des demandes d’asile en le de France », que des « dispositifs existent dans toutes les capitales régionales » pour répartir.
Valérie Saint-Do de la Revue Cassandre aurait souhaité que le camp de Calais soit gardé. Pierre Henry, au contraire, n’a pas la « nostalgie de Calais » et dénonce la politique anglaise. Une personne du public voudrait que l’on ferme le centre d’hébergement d’urgence ‘la boulangerie’ dans le 18e à Paris. Le débat part aussi sur le rôle de l’Union européenne.
Pierre Henry a la parole pour conclure. Il estime qu’il faut « donner la priorité aux migrants qui fuient les guerres et les persécutions », alors que « l’opinion publique est encoure favorable », pour « garder une société ouverte », ce qui est un « enjeu ». Il y voit « un devoir moral » et une nécessité si l’on comprend que l’Europe s’inscrit dans un contexte international. J’imagine qu’une partie de la salle n’est pas d’accord, mais le débat se termine là.
Il serait possible de le continuer à la prochaine SSI, et je propose de considérer les causes des migrations selon les pays, pour mieux comprendre la logique des flux migratoires et des décisions de l’Ue, et tenter de voir comment la solidarité à Aubervilliers s’inscrit dans une géographie. C’est aussi un enjeu de connaissance pour ne pas dissocier la solidarité de personne à personne des logiques géopolitiques internationales. Est-ce que la position de solidarité n’est pas associée à un marqueur politique qui s’appuie sur de l’idéologique quand divergent les raisonnements et les émotions, inscrits humainement et localement, et les décisions internationales, au risque d’arriver bientôt à un nouveau clivage suite d’un malentendu persistant ? 
La seconde partie est une table-ronde ‘Qu’est-ce qu’une « communauté culturelle » ? Qu’est-ce qui différencie communauté de communautarisme ? Pourquoi avons-nous tendance, en France, à associer le lien communautaire à une entrave à la citoyenneté républicaine ?’ Les intervenants sont Marie-Hélène Bacqué, sociologue à l'université Paris‑Ouest, Denis Laborde, sociologue à l’EHESS, travaillant sur les musiques du monde, Ya-Han Chuang, sociologue et spécialiste du processus d'intégration des migrants chinois à Paris, André du Festival Villes des musiques du monde, et deux témoins d’Aubervilliers, Aline Kemo, animatrice de l'association des ressortissants de Fondjomekwet, au Cameroun, et Waly Diawara, président de l'association Ensemble pour l'Espoir et le Développement, pour le Guidimakha en Mauritanie.
Marie-Hélène Bacqué explique le terme « communauté » en soulignant la diversité des formes, par exemple entre « hérité ou collective », Selon elle, il n’y a pas qu’une difficulté de traduction avec les USA, mais une différence de philosophie. Aux USA, il y a une forte « insistance sur les corps intermédiaires pour vivre ensemble», alors qu’en France « l’universalisme » renvoie vers « une sphère privée ». Elle conclut que « les communautés ne mettent pas en danger la démocratie » et qu’il y a « société multiculturaliste et multiplicité d’identités ».
Denis Laborde raconte avec passion une histoire d’une cinquantaine de migrants chaleureusement accueillis dans un village du Pays-basque en 2015, avec une fête en musique. Il évoque les discussions de « sanctions diffuses selon Durkheim», et « la recherche d’indices de civilité ». Selon lui, les migrants se retrouvent « suspendus en migration », et il est impossible d’isoler une séquence lié à une culture du contexte. Il y a « communauté émotionnelle », « mise en commun des émotions », « volonté de ramener l’inconnu au prédictible ». Il souhaiterait que la politique aille vers « l’acceptation des différences », ce qui n’est pas le cas.
Ya-Han Chuang parle des 1200 boutiques chinoises à Aubervilliers. Comme la Chine est grande, il n’y a pas de communauté des chinois automatiquement, mais la discrimination et les agressions forment ou créent progressivement une communauté. Elle dit  alors communauté chinoise et asiatique. Des liens se créent pour trouver du travail aux primo-arrivants, pour se protéger des vulnérabilités. Selon elle, la protection permet de s’intégrer, et il y a un « sentiment de double appartenance » avec une volonté d’ « être reconnu ». Cela ouvre d’après elle, « une 3e voie autre que celle de la communauté et du communautarisme ».
Waly Diawara pense que les communautés aident à se protéger, pour échapper à la solitude, pour vivre selon des contraintes économiques, pour trouver du travail, pour aider un pays… Il comprend la peur des communautés religieuse. Aline Kemo remarquent que les enfants perdent les langues des pays, 250 langues au Cameroun et que ces communautés peuvent aussi aller vers une disparition. Pendant le débat, un musicien dans le public regrette que des « blancs » représentent des musiciens qui ne le sont pas dans des institutions. Une anthropologue « chinoise » ou pas, parle de « communauté sentimentale », si l’on a le choix de « garder des traditions ou de s’en éloigner » ou d’être en deux, en participant à des fêtes, comme le nouvel an chinois, si « la culture a une force incroyable pour retrouver ses racines ». Une personne insiste au final pour souligner que « s’il y a un problème, il faut en parler », et conclut « oui à la diversité positive, pour les communautés et non au communautarisme ». 
Le message des sociologues est ensuite souligné par un spectacle. Les danseuses de l’association Indans'cité entraînées par le chorégraphe Jean Paul Mehansio, finissent par faire danser la moitié d’une salle soudain euphorique. C’est vrai que cette journée de débats sur des sujets difficiles a été extrêmement positive et sereine. Fallait-il une culture albertivillarienne particulière pour y arriver ?
Cela se termine par la pièce de théâtre ‘Winter Guests jouée par deux réfugié-e-s syriens, Aya Attrash et Yazan Hawash, qui est aussi palestinien, et mise en scène par Aurélie Ruby. Les 2 acteurs, actrices racontent leurs vraies histoires d’exil, pourtant tragique, avec beaucoup d’humour, et en dialoguant avec le public, par exemple à propos des langues française et arabe. Cet humour sur du tragique sera ainsi la conclusion d’une journée très très riche.
Régis Marzin, Journaliste blogueur albertivillarien, parisien,européen, africain, gabonais, breton, togolais, etc, etc… Ecrit et publié le 14 novembre 2016

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