dimanche 18 février 2018

18 février 2018, Paris - Djibouti : conférence-débat avant parodie de législatives

Ce dimanche 18 février, à Paris, le parti politique djiboutien Alliance Républicaine pour le Développement (ARD) a invité la diaspora djiboutienne à venir discuter de la situation à Djibouti avant la parodie de législatives du 23 février. Je viens comme conférencier pour donner mon point de vue de journaliste et chercheur indépendant sur les élections en Afrique. Ce compte-rendu a été complété exceptionnellement par des informations qui n’ont pas été données lors de la journée, en particulier sur le multipartisme.
Maki Houmed-Gaba, représentant de l'ARD en Europe, introduit la conférence en deux parties, sur les mobilisations politiques et sur les élections. Mahdi Ibrahim A. God, vice-président de l’ARD, en exil à Londres, est présent à ses côtés. Au moyen d’une vidéo, Maki Houmed-Gaba revient sur le « printemps arabe » et sur une manifestation à Djibouti-ville le 10 février 2011. Le 19 avril 2010, Ismaïl Omar Guelleh avait fait enlever par le parlement la limite de 2 mandats de 5 ans de la Constitution. La présidentielle du 8 avril a été ensuite boycottée. La population ne voulait pas de 3e mandat. La coalition Union pour une Alternative Démocratique (UAD) a réussi alors à commencer à mobiliser cette population.  
La coalition Union pour le salut national a retrouvé une population mobilisée en 2013. Après sa victoire aux législatives de février 2013, dont le résultat a été inversé par le pouvoir, les manifestations ont commencé et sont devenues assez nombreuses pendant 2 ans. Avant 2011, les dernières manifestations dataient de 1976 et 1977 et de la lutte pour l’indépendance.
Le multipartisme a été partiellement acquis grâce au référendum constitutionnel de 1992 pendant la guerre avec le Frud, il s’est limité pendant 10 ans à quatre partis au total pour le pouvoir et l’opposition. Le multipartisme intégral a été, en théorie et dans la loi, autorisé à partir du 4 septembre 2002. Grâce à cela, en 2002, de nouveau partis ont pu se créer mais le verrou n’a pas sauté. Le multipartisme reste arbitrairement et ‘de fait’ partiel. En effet, le ministère de l’intérieur continue d’empêcher la création des partis et le nombre de parti hors coalition du pouvoir UMP n’a jamais dépassé 4, pour 4 statuts légaux autorisés. En 2017, les 4 partis hors coalition UMP sont des partis clonés et de fausse opposition. L’opposition réelle a été chassée des élections législatives et Djibouti est retourné à un stade proche du parti unique des années 80.
Le débat démarre sur la possibilité pour l’opposition de s’organiser. Le pouvoir utilise la méthode du licenciement des fonctionnaires et des pressions sur les salariés et entrepreneurs du privés, sur les clients ou la famille pour empêcher financièrement les travailleurs d’être dans des partis politiques. Un travailleur indépendant perd ses clients, peut avoir une coupure de son contrat d’électricité, son matériel détruit, avoir un contrôle fiscal, etc… En pratique, pour rester dans un parti d’opposition, il est plus simple d’être retraité ou chômeur.
La discussion revient sur les inversions de résultats des élections, lors de la présidentielle de 1999, les législatives de 2003 et 2013. Djibouti a un faux-multipartisme en plus des fausses élections de dictature, mais le pays est aussi le seul en Afrique dans lequel toutes les élections sont, soit boycottées, 7 sur 10, soit au résultat inversé, 3 sur 10. Mahdi Ibrahim A. God précise qu’il a été un des témoins principaux de l’inversion en 1999, qu’il recevait les données des bureaux de vote toutes les heures, qui montrait la large victoire de Moussa Ahmed Idriss contre Ismaïl Omar Guelleh et évoque un débat de TV5 sur le sujet. Lors de l’inversion sur les législatives de 2003, l’UAD avait rassemblé 140 000 signatures de personnes voulant voter UAD alors qu’il y avait 192 000 inscrits sur le fichier électoral. Il indique également que la constitution donne tous les pouvoirs au président, sans partage de pouvoirs avec le parlement et la justice. Les problèmes ont commencé quand les français ont accepté l’indépendance sous condition, en imposant une liste de dirigeants qui sont ensuite restés.
Ismaël Ahmed, député USN depuis 2015, intervient également et revient sur l’accord du 30 décembre 2014 et les années 2015 et 2016. Comme les années 2013 et 2014 avait montré une forte mobilisation, et il a pensé qu’il fallait participer. La plus grosse difficulté a été le fait de ne pas avoir de leader pour être candidat de l’USN en 2016. Il n’y a pas eu de primaires, alors qu’elles étaient nécessaires et selon lui « l’opposition est allée droit dans le mur » ou « a regardé le train partir dans le mur », « l’USN s’éclatant elle-même » en raison de « problèmes humains ». Une nouvelle coalition aurait besoin d’établir une règle du jeu » en « transformant les egos en énergie positive ». Selon lui, il est « contre le boycott » qui, s’il se fait, doit se faire « en défiant le régime ».
Dans mon intervention, je donne quelques caractéristiques de la dictature djiboutienne. L’électorat de Guelleh semble très réduit. Du coup, la tension monte autour des élections. Le niveau de dictature est arrivé dans les plus élevés en Afrique en raison du décalage avec la population même si l’opposition est en difficulté. Il y a eu une forme d’inversion du résultat en 2016, par suppression du second tour, bien camouflé, alors qu’il y avait déjà détournement du processus électoral en amont avec boycott partiel.
Je décris une classification adaptée des élections en dictature, les processus électoraux détournés en amont, avec ou sans boycott, majoritaires à près de 80% pour les présidentielles, les élections fraudées le jour du vote, près de 10%, les inversions de résultats, près de 10%, et quelques rares exceptions d’élections correctes. Les dictateurs mélangent les méthodes sur un même processus électoral, mais une méthode se dégage comme principale. A Djibouti comme ailleurs, le dictateur préfère un processus électoral détourné en amont qui ne lui laisse aucun risque le jour du vote. Parmi les 4 familles de méthodes de détournement en amont, autour du fichier électoral, de l’absence de liberté et de débat politique, de la Ceni et des institutions, et de la désorganisation de l’opposition, il a privilégié les méthodes de désorganisation de l’opposition. Il est sans doute maintenant le meilleur dictateur en Afrique dans le domaine de la désorganisation de l’opposition. Je signale que même si l’opposition a des faiblesses, elle a le choix entre dire qu’« elle boycotte une élection » ou qu’elle constate que « le processus électoral a été détourné en amont avec des moyens adaptés ». La différence est qu’elle peut choisir de dire qui décide et qui agit, puisqu’en réalité, ce sont chef d’état et son clan qui décident et agissent pour empêcher la démocratie d’exister.
Le président du mouvement armé Front pour la Restauration de l'Unité et de la Démocratie (FRUD), Mohamed Kadami, donne son avis depuis la salle.
Mahdi Ibrahim A. God signale qu’aux législatives, le mode de scrutin des législatives permet au régime de tenir et qu’il faudrait « exiger une proportionnelle à 100% » (en gardant un scrutin par liste par zone), qui « arrêterait aussi le tribalisme ». La question se pose aussi d’avoir une liste réduite de revendications efficaces, comme actuellement au Togo.
La journée se termine sur le point de la mobilisation de la jeunesse de la diaspora.
Régis Marzin
Compte-rendu complété, écrit et publié le 22 février 2018

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